Intitulée, « La crise sociopolitique dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun : Évaluation de l’impact économique et social », cette étude évalue l’impact de la crise sur les résultats économiques et sociaux jusqu’en 2019, dans le NordOuest et le Sud-Ouest, dans les régions voisines du Littoral et de l’Ouest et au niveau national.
Il importe de retenir que ce conflit a débuté par des manifestations pacifiques en 2016, avant de dégénérer en un conflit armé, avec des éléments clairement sécessionnistes et criminels. Plus de trois ans après ce conflit a entraîné d’importantes perturbations socioéconomiques. En septembre 2019, la crise avait fait plus de 3 000 morts, détruit plus de 170 villages et déplacé plus d’un demi-million de personnes.
La situation d’urgence humanitaire reste grave et continue d’empirer. Car, les capacités et les systèmes de prestation de services ont été dépassés par les déplacements de populations, et l’accès humanitaire a été sévèrement limité.
Pour une meilleure appréciation des origines de ce conflit, la Banque mondiale renvoie à l’histoire coloniale du pays. En effet, explique l’institution de Bretton Woods, « le Cameroun ayant hérité de deux traditions distinctes au lendemain de l’indépendance : l’une française et l’autre britannique. Il y avait des différences cruciales entre les deux systèmes en matière d’éducation, d’administration de la justice et d’arrangements institutionnels pour la gouvernance ».
Aujourd’hui, souligne la Banque mondiale, le conflit s’est caractérisé par des attaques répétées et délibérées contre les symboles de l’État et le boycottage des institutions nationales, traduisant un profond rejet de la légitimité de l’État et le sentiment que le mode de vie dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest est menacé.
Plusieurs groupes armés non étatiques sont également impliqués dans le conflit ; ensemble, ils comptabilisent 2 000 à 4 000 combattants séparatistes. Quatre principaux groupes armés non étatiques ont été identifiés : les forces de défense de l’Ambazonie, le Conseil d’autodéfense de l’Ambazonie, les forces de restauration du Southern Cameroons, et les forces de défense du Southern Cameroons.
Les groupes armés recrutent principalement des combattants civils, mais comptent également dans leurs rangs d’anciens membres des forces de défense nationales, ainsi que des mercenaires nigérians. Les séparatistes se battent principalement avec des armes à feu traditionnelles rudimentaires et fabriquées localement, bien que l’on ait signalé la présence d’armes volées aux soldats de l’armée régulière.
Des preuves attestent de l’implication d’enfants soldats, notamment les fameux « Amba boys », dont certains sont âgés de seulement 14 ans, dans les combats en brousse. Selon Felix Agbor Balla, l’avocat qui a formulé les exigences initiales du mouvement anglophone, ces groupes séparatistes ne semblent pas avoir de chaînes de commandement claires.
De plus, l’application violente d’un boycott des institutions étatiques les éloigne de plus en plus de la population pour laquelle ils prétendent se battre, selon les membres de la communauté anglophone interrogés dans le cadre de l’étude.
Plutôt que de s’engager dans des débats sur les spécificités du fédéralisme, les chefs des milices séparatistes optent plutôt pour le rejet politique, car ils profitent du statu quo par l’extorsion, les enlèvements et la taxation des civils.
La crise est de plus en plus marquée par la criminalisation, car les groupes se fragmentent et de nouveaux acteurs se joignent à la mêlée ; certains ont des intentions purement criminelles, d’autres ont fusionné avec des groupes établis.
Les deux parties ont également été accusées de piller des villages, de procéder à des assassinats arbitraires et de commettre des violations des droits de l’homme, notamment le démembrement de civils.5 Les milices ont également de plus en plus recours aux enlèvements contre rançon, ce qui a déclenché l’émergence et l’organisation de groupes d’autodéfense communautaires armés.
Selon la BM, les différences socioéconomiques objectives entre les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest et les autres ne correspondent pas exactement aux perceptions d’inégalité et d’exclusion de la population anglophone.
En outre, note la Banque, avant la crise, les régions anglophones n’étaient pas en retard sur le reste du pays en termes de résultats économiques et sociaux. Ils représentaient plutôt une part importante d’une économie formelle limitée, des exportations agricoles et des emplois du Cameroun.
Cependant, les Anglophones semblent avoir plus de mal à entrer dans le secteur public, que de nombreux Camerounais considèrent comme la principale voie vers la sécurité financière.
Les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest avaient également des niveaux de capital humain parmi les plus élevés du Cameroun avant le conflit et avaient un bon accès à une éducation de qualité. L’intensité et l’impact du conflit ont été élevés dans les régions en conflit, ainsi que dans d’autres régions du pays.
L’impact sur les vies humaines et les déplacements a été le plus considérable et le plus visible. La violence a déclenché une crise humanitaire importante et croissante, tandis que la situation alimentaire dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest est alarmante.
L’accessibilité reste une préoccupation particulière
1,3 million de personnes touchées par la violence restent hors de portée des agences humanitaires. Le conflit a également déclenché une grave crise de déplacements internes : environ 680 000 personnes, soit près de 15 % de la population de ces régions avant la crise, étaient déplacées à l’intérieur du pays en décembre 2019.
En outre, le conflit a entraîné une destruction importante de biens essentiels ; des écoles, des établissements de santé et des infrastructures de production ont été délibérément pris pour cible et détruits.
La crise a accru les niveaux de pauvreté et endommagé les moyens de subsistance et le capital humain dans les régions touchées et les régions voisines. Le système éducatif a été particulièrement touché : les enseignants, les élèves et les étudiants ont été contraints de fuir, entraînant une chute spectaculaire des taux de scolarisation dans le Nord-Ouest et le Sud et une augmentation de la demande d’éducation dans les régions voisines.
Cet afflux d’élèves et d’étudiants a considérablement augmenté la pression exercée sur ces écoles, compromettant ainsi la qualité de l’enseignement. La fermeture ou le fonctionnement limité des établissements de santé a également mis à mal les services de santé essentiels, notamment en ce qui concerne la santé reproductive et maternelle et la vaccination.
Les professionnels de la santé ont été pris pour cible par l’armée pour avoir soigné des soldats et des séparatistes blessés et accusés de cacher des combattants dans les hôpitaux et les centres de santé. Les déplacements de population au sein desdites régions, ajoutés à l’insécurité alimentaire et aux mauvaises conditions de vie, ont augmenté le risque de maladies, y compris les maladies et les épidémies d’origine hydrique.
Un impact négatif sur l’économie du pays
Au-delà du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, l’arrivée de personnes déplacées à l’intérieur du pays dans les régions de l’Ouest et du Littoral a mis à rude épreuve un secteur de la santé qui manquait déjà de personnel, de fournitures et de services adéquats.
La crise a aussi provoqué une contraction importante des économies des régions en crise. Une analyse historique hypothétique (ou scénario de référence), a été réalisée pour cette étude en utilisant un modèle informatisé d’équilibre général afin de mesurer les effets à court terme du conflit.
Elle montre que cette crise a empêché l’économie camerounaise de profiter pleinement du contexte mondial relativement favorable qui a précédé l’épidémie de Covid-19, et qui comprenait une hausse modérée des prix mondiaux de certains des principaux produits agricoles d’exportation du Cameroun, notamment le cacao, le café et la banane.
L’évolution des recettes fiscales confirme ce déclin des activités économiques, et la crise a affecté la réalisation des investissements publics. Le secteur financier a également été touché par les perturbations et l’insécurité, et l’emploi a chuté en raison de la violence et de l’effondrement de l’activité économique.
Selon les résultats du modèle informatisé d’équilibre général, les recettes fiscales perçues par le gouvernement en 2019 étaient inférieures de 4,8 % à ce qu’elles auraient été sans la crise. Les effets combinés de la baisse des revenus (due à la réduction des emplois) et de la hausse des prix à la consommation (due aux perturbations de la chaîne d’approvisionnement) ont infligé un lourd tribut au bien-être des ménages.
La crise a démontré la résilience et la solidarité de la société camerounaise, y compris entre les populations francophones et anglophones. Les ménages d’accueil ont recueilli la plupart des personnes déplacées et ont fait preuve d’une capacité d’adaptation remarquable compte tenu de la pression supplémentaire exercée sur les familles et les ressources.
Le conflit n’a pas déclenché de tensions sociales plus importantes entre les groupes de population au niveau national. Cependant, de plus en plus de signes indiquent que la cohésion sociale du pays est mise à l’épreuve, car les ressources des communautés d’accueil et les services publics ailleurs au Cameroun sont poussés jusqu’à leurs limites.
Il existe un risque que les déplacements et une crise prolongée mettent à mal la cohésion nationale sur plusieurs vecteurs, notamment en accentuant les différences entre Francophones et Anglophones au niveau national et en mettant en évidence les divisions profondément ancrées sur des questions fondamentales liées à la gouvernance et à l’identité.
Des tentatives de paix infructueuses
Au moment de la rédaction du présent rapport, souligne la banque mondiale, le conflit était toujours en cours et certains signes indiquaient qu’il pourrait s’intensifier. Les tentatives de trouver une solution au conflit, notamment par le biais du Grand Dialogue national du 30 septembre au 4 octobre 2019, ont généré des propositions d’actions et de mesures destinées à faire baisser les tensions et à répondre aux griefs des anglophones.
Une feuille de route vers une paix négociée n’a toutefois pas encore été établie, et l’impact du conflit risque de croître de manière exponentielle au fur et à mesure que la solution se fait attendre. La baisse à long terme du Produit intérieur brut (PIB) pourrait avoir un impact catastrophique sur le bien-être des ménages dans les deux régions touchées.
Un conflit prolongé est également susceptible d’avoir des conséquences désastreuses pour le secteur financier et pourrait conduire à des déplacements interminables. L’impact de la crise sur la fréquentation scolaire devrait se refléter dans les mesures du capital humain, qui peut être évalué en examinant la mortalité infantile et maternelle et l’impact sur la production future.
Et, « plus on tardera à trouver une solution, plus le processus de relèvement sera long et compliqué. En outre, un conflit prolongé est susceptible d’affecter la réputation internationale du Cameroun ainsi que ses perspectives de développement à long terme », indique la BM.
Le conflit a déjà causé des dommages permanents aux économies des régions concernées, et son impact s’accentuera à mesure qu’il durera. « Même si le conflit prenait fin demain, les deux régions ne pourraient retrouver que les trois quarts de leur niveau de productivité d’avant la crise en raison de la désorganisation des infrastructures et de la destruction du capital humain due aux décès et aux déplacements de population », déplore la Banque mondiale. .
Le rapport souligne que si l’impact se fait surtout sentir dans ces régions, il touche de plus en plus le pays dans son ensemble, notamment par une baisse du PIB national et du bien-être des ménages. Les simulations effectuées dans le rapport suggèrent que le PIB national chutera de 9 % si le conflit dure jusqu’en 2025.
Les effets à plus long terme seraient dévastateurs : d’ici à 2030, le PIB régional chuterait de 60 % dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, et le bien-être des ménages à l’échelle nationale diminuerait de plus de 5 %. Ces résultats soulignent l’urgence de mettre un terme à la violence, d’aider la population à se relever et de s’attaquer aux causes et aux conséquences du conflit.