Après le Fonds monétaire international (FMI), il y a quelques jours, c’est au tour de l’agence de notation Moody’s Ratings (Moody’s) de tirer la sonnette d’alarme sur les risques budgétaires que court le Gabon. Le 12 juin 2024, un comité de notation de cette agence a été réuni pour discuter de la situation du Gabon. Les principaux points évoqués portaient sur les fondamentaux économiques, la solidité économique, les institutions, la solidité fiscale ou financière et le profil d’endettement du pays. Au terme de cette activité, l’agence de notation américaine a révisé la note du pays à la baisse en devises étrangères de Caa1 à Caa2 avec une perspective passant de négative à stable.
Dégradation vers Caa2
Selon le communiqué publié à cet effet, « l’abaissement à Caa2 reflète une détérioration marquée de la solidité budgétaire du Gabon et des risques de liquidité accrus, dus à une situation budgétaire plus faible que celle initialement annoncée et à une politique budgétaire expansionniste à la suite de l’intervention militaire d’août 2023 », renseigne Moody’s.
Cette dégradation traduit également l’apparition de nouvelles pressions en matière de dépenses dans un certain nombre de domaines, alors que le gouvernement de transition cherche à répondre aux demandes exprimées en matière sociale et d’investissements. Elle ’indique aussi que « des besoins de financement publics plus importants exacerberont les pressions sur la liquidité dans un contexte d’options de financement relativement limitées, augmentant ainsi le risque de pertes pour les créanciers du secteur privé dans les années à venir ».
L’analyse de l’agence américaine souligne en outre que les récentes révisions des données budgétaires remontant à 2022 ont révélé une sous-estimation importante des dépenses publiques à l’approche des élections d’août 2023. Cela reflète la correction des comptes budgétaires après que le nouveau gouvernement de transition ait découvert et intégré des dépenses extrabudgétaires non enregistrées auparavant. Cette dernière a été financée en grande partie par des arriérés intérieurs, qui auraient atteint près de 12 % du PIB en 2023, principalement sous forme de liquidités et d’arriérés envers les fournisseurs. Les efforts déployés par les autorités pour dresser un inventaire complet des arriérés intérieurs se poursuivent.
Une situation budgétaire fragile
Les données révisées de Moody’s indiquent également une situation budgétaire plus faible. Le fardeau de la dette – y compris les bons du Trésor, les arriérés et la dette légale – a atteint environ 70,5 % du PIB à la fin de 2023, soit environ 14 points de pourcentage de plus que ce que Moody’s prévoyait au moment de la dernière mesure de notation en septembre 2023, selon les prévisions précédentes données fiscales disponibles.
En outre, la politique budgétaire restera expansionniste, reflétant les pressions sur les dépenses dans un certain nombre de domaines alors que le gouvernement de transition cherche à répondre aux demandes refoulées en matière sociale et d’investissement et aux attentes populaires.
Le budget 2024 prévoit une augmentation nominale de 12 % de la masse salariale du secteur public, de nouveaux transferts et subventions et une augmentation de 67 % des investissements publics. Des contraintes de capacité et de financement dans l’exécution des dépenses supplémentaires envisagées sont probables, et les recettes publiques continueront de bénéficier des prix du pétrole généralement favorable et de l’intensification des efforts antérieurs visant à renforcer la collecte des recettes non pétrolières en limitant les exonérations fiscales et en améliorant les administrations fiscales et douanières. Cependant, Moody’s prévoit que le déficit budgétaire se creusera fortement, atteignant 3,6 % du PIB cette année et 5,1 % du PIB en 2025, contre 1,8 % du PIB estimé en 2023.
En l’absence d’ajustements politiques, le fardeau de la dette du Gabon pourrait atteindre près de 78 % du PIB d’ici fin 2025 et continuera d’augmenter à moyen terme pour atteindre son plus haut niveau depuis plus de deux décennies.
Au-delà des besoins de financement du déficit budgétaire plus importants, les efforts continus des autorités pour apurer les arriérés – dont 123 milliards XAF (1 % du PIB) d’arriérés de dette extérieure en cours à fin 2023 – viendront également accroître les besoins de financement. Moody’s estime par ailleurs que les besoins bruts de financement se situeront entre 13 et 18 % du PIB en 2024 et 2025.
Des besoins de financement publics plus importants exacerberont les pressions sur les liquidités dans un contexte d’options de financement relativement limitées, ce qui entraînera un déficit de financement selon l’estimation de Moody’s et augmentera le risque de pertes pour les créanciers du secteur privé dans les années à venir.
Une base de financement étroite accroît les risques de refinancement avant l’amortissement des euro-obligations de 605 millions de dollars (près de 3 % du PIB) en juin 2025. Elle exacerbe également le risque d’une nouvelle accumulation d’arriérés envers les créanciers extérieurs et intérieurs, un défi de crédit récurrent pour le Gabon.
Le soutien financier de la communauté internationale est resté limité jusqu’à présent à la suite de l’intervention militaire. Ce qui a contraint le pays à recourir davantage au marché des capitaux régional peu profond de la CEMAC pour le financement. Le budget 2024 autorise une éventuelle émission d’euro-obligations. Or, le Gabon possède déjà un historique d’opérations d’accès aux marchés internationaux et de refinancement, y compris lors des périodes passées de turbulences sur les marchés, lorsque le soutien du FMI a fourni un point d’ancrage politique.
Cependant, les conditions financières mondiales toujours tendues rendront probablement l’accès aux marchés difficile. Moody’s ne prend pas en compte un nouveau programme du FMI dans son scénario de référence, après que l’accord précédent ait effectivement expiré en 2022 avec seulement deux revues terminées.
Perspectives stables
Les perspectives stables reflètent l’opinion de Moody’s selon laquelle, les risques à la hausse et à la baisse pesant sur le profil de crédit du Gabon sont équilibrés au niveau Caa2. Du côté positif, l’impulsion donnée par le gouvernement de transition en faveur d’une plus grande transparence des données budgétaires, parallèlement aux efforts en cours pour la mise en œuvre d’un compte unique du Trésor et une numérisation accrue, pourrait, si elle se poursuit, corriger les faiblesses de longue date de la gestion des finances publiques et renforcer la faible évaluation de Moody’s de la situation du Gabon. La solidité des institutions et de la gouvernance, une contrainte de crédit importante et de longue date.
En revanche, les pressions budgétaires et sur les liquidités pourraient encore s’accentuer en l’absence d’ajustements politiques, augmentant encore la probabilité de défaut au-delà de ce qui est compatible avec une notation Caa2. Les attentes sociales élevées et la transition politique en cours augmentent le risque de dérapages budgétaires et pèsent sur la capacité du gouvernement à se lancer dans une éventuelle correction de la situation budgétaire et à atténuer les tensions sur la liquidité.
L’absence de cadre budgétaire à moyen terme limite la visibilité sur la future trajectoire budgétaire. Les efforts continus de mobilisation des recettes pourraient surprendre à la hausse, comme l’indiquent les résultats relativement élevés des recettes fiscales et douanières à ce jour, mais la dépendance budgétaire du Gabon à l’égard du secteur des hydrocarbures – avec environ 40 à 50 % des recettes tirées du pétrole en moyenne depuis 2020 – révèle le souverain à la volatilité des prix du pétrole.
Les initiatives politiques annoncées en dehors du budget 2024 pourraient également avoir des implications budgétaires importantes, mais encore incertaines. Il s’agit notamment du projet d’acquisition d’Assala Energy – la deuxième plus grande compagnie pétrolière du Gabon – par la compagnie pétrolière gouvernementale GOC, de la création d’une compagnie aérienne nationale et d’une nouvelle banque nationale de développement, ainsi que de la construction d’un nouveau centre administratif.
Le risque de sanctions a diminué et les autorités ont jusqu’à présent respecté un calendrier de transition vers un régime civil, définissant les étapes menant à une élection présidentielle qui devrait avoir lieu à titre indicatif d’ici août 2025. Un référendum sur l’adoption d’une nouvelle constitution serait prévu. Organisé d’ici fin 2024, et un dialogue national conclu en avril avec une série de recommandations visant à redéfinir les institutions du pays.
Néanmoins, les dates de transition restent sujettes à d’éventuelles révisions. Des progrès durables vers un retour à un régime civil resteront probablement un facteur permettant d’assurer un soutien renouvelé de la part des créanciers multilatéraux et officiels s’avère essentiel pour limiter la dépendance à l’égard du marché régional de la CEMAC en matière de financement.